Rapport sur la Traite des Personnes en 2014 (Canada)

Le Canada est un pays source, de transit et de destination pour des hommes, des femmes et des enfants qui sont victimes du trafic du sexe, et un pays de destination pour des hommes et des femmes qui sont victimes du travail forcé. Des femmes et des filles canadiennes sont exploitées dans le cadre du trafic du sexe à l’échelle du pays, et les femmes et les filles des communautés autochtones et les mineures prises en charge par les services d’aide sociale à l’enfance sont particulièrement vulnérables. Selon des ONG et des responsables de l’application de la loi, les trafiquants utilisent parfois la toxicomanie pour contrôler leurs victimes. Selon la Gendarmerie royale du Canada (GRC), environ la moitié des victimes du trafic du sexe identifiées travaillaient comme danseuses exotiques ou dans un club au moment de leur recrutement. Des femmes étrangères, venant principalement de l’Asie et de l’Europe de l’Est, sont victimes du trafic du sexe dans des maisons de prostitution et des salons de massage. Les responsables de l’application de la loi signalent que les gangs de rue locaux et les organisations criminelles transnationales sont impliqués dans le trafic du sexe dans les centres urbains. Les victimes du trafic de main-d’œuvre comprennent des travailleurs étrangers venant de l’Europe de l’Est, de l’Asie, de l’Amérique latine et de l’Afrique qui entrent au Canada de manière légale, mais qui, par la suite, sont soumis au travail forcé en agriculture, en construction, dans des usines de transformation des aliments, à des restaurants, dans le secteur de l’hôtellerie ou comme domestiques. De plus, le Canada est un pays source de touristes qui voyagent à l’étranger pour se livrer à des activités sexuelles avec des enfants.

Le gouvernement du Canada se conforme pleinement aux normes minimales pour l’élimination de la traite des personnes. En 2013, le gouvernement a obtenu, pour la première fois, une condamnation pour servitude domestique, a augmenté le nombre de condamnations obtenues en vertu des lois relatives à la traite des personnes par rapport à l’année précédente, et a créé une unité de police consacrée à la lutte contre la traite des personnes. Les autorités canadiennes ont maintenu leurs partenariats étroits avec la société civile, afin de sensibiliser à la traite des personnes, ont accru la coordination entre les autorités fédérales, provinciales et territoriales, et ont fait preuve de transparence, en publiant leur premier rapport d’étape sur le plan d’action national contre la traite des personnes. Peu de services spécialisés étaient disponibles aux victimes, et le gouvernement n’avait pas des données complètes sur les victimes de la traite des personnes identifiées et aidées au cours de l’année.

Recommandations pour le Canada

Augmenter les services de réintégration et de soins spécialisés offerts aux victimes de la traite des personnes, en partenariat avec la société civile et par un financement dédié; continuer d’intensifier les efforts visant à enquêter sur les infractions liées à la traite des personnes, à intenter des poursuites à cet égard, et à condamner à une peine d’emprisonnement les trafiquants en vertu des lois relatives à la traite des personnes; augmenter l’utilisation de techniques d’application de la loi proactives pour enquêter sur la traite des personnes, y compris le travail forcé; renforcer la formation offerte aux fonctionnaires travaillant dans les domaines de l’application de la loi, de l’immigration, de la justice, des soins de santé et du travail social sur l’identification des victimes de la traite des personnes et la prestation d’une aide à ces victimes, et sur les formes subtiles de coercition employées par les trafiquants; améliorer la coordination entre les responsables de l’application de la loi et les fournisseurs de services, peut-être par l’intermédiaire de gestionnaires de cas ou d’avocats spécialisés, afin de s’assurer que les besoins des victimes sont satisfaits; maintenir une communication accrue entre les intervenants fédéraux, provinciaux et territoriaux; enquêter promptement sur les touristes sexuels canadiens à la recherche d’enfants et les poursuivre en justice vigoureusement; et, améliorer la collecte de données sur la traite des personnes, particulièrement en ce qui concerne l’identification des victimes et l’aide à ces dernières.

Poursuites judiciaires

Au cours de l’année, le gouvernement du Canada a renforcé ses efforts d’application de la loi contre les trafiquants de personnes. L’article 279.01 du Code criminel du Canada interdit toute forme de traite des personnes et prévoit un emprisonnement maximal de quatorze ans et, en cas de certains facteurs aggravants, comme un enlèvement ou une agression sexuelle, un emprisonnement à perpétuité. Le Code criminel prévoit une peine minimale de cinq ans pour la traite de personnes âgées de moins de dix-huit ans. Ces peines sont suffisamment sévères et proportionnelles à celles pour les autres crimes graves. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) du Canada interdit, à l’article 118, la traite des personnes transnationale, et prévoit une amende maximale de un million de dollars et l’emprisonnement à perpétuité.

Les autorités ont condamné un plus grand nombre de trafiquants en vertu des lois relatives à la traite des personnes que l’année précédente. Certains juges et procureurs avaient une compréhension limitée de la traite des personnes, y compris les formes subtiles de coercition employées par les trafiquants, ce qui les a menés à qualifier des affaires de traite des personnes d’autres crimes, à intenter des poursuites au civil plutôt qu’au criminel, ou à acquitter des trafiquants. Selon des articles de presse, dans certains cas, les agents de police étaient hésitants à enquêter sur le trafic sexuel d’enfants sans témoignage des victimes, malgré l’existence d’autres preuves. La police et des ONG ont signalé que les procureurs étaient souvent hésitants à invoquer les lois relatives à la traite des personnes, parce qu’ils croyaient qu’il était extrêmement difficile de prouver l’exploitation aux juges. En décembre 2013, la Cour suprême du Canada a confirmé la décision de la Cour d’appel de l’Ontario selon laquelle certaines lois fédérales interdisant de vivre des produits de la prostitution et d’exploiter des maisons de prostitution étaient inconstitutionnelles; ces lois avaient été invoquées fréquemment dans le cadre de poursuites judiciaires pour traite des personnes.

En date de février 2014, en plus des enquêtes en cours ouvertes lors de la période de rapport précédente, il y avait au moins 42 poursuites judiciaires pour traite des personnes en cours. Ces poursuites impliquaient au moins 182 personnes accusées de traite des personnes, dont 60 l’avaient été en 2013. À titre de comparaison, au cours de la période de rapport précédente, on pouvait compter 77 poursuites judiciaires pour traite des personnes en cours, impliquant 130 accusés. En 2013, le gouvernement a signalé avoir condamné au moins 25 trafiquants, y compris un trafiquant de main-d’œuvre, alors qu’en 2012, le nombre des condamnations s’était élevé à au moins 30, dont cinq pour trafic de main-d’œuvre. De ces 25 condamnations, 10 ont été obtenues en vertu des lois concernant expressément la traite des personnes, ce qui représente une augmentation par rapport aux cinq condamnations obtenues en vertu de ces lois en 2012. Les procureurs ont obtenu la condamnation d’au moins 15 trafiquants du sexe en vertu d’articles du Code criminel portant sur d’autres types d’infractions, y compris des articles concernant la prostitution; en 2012, 25 condamnations de ce type avaient été obtenues en vertu de ces articles. Les 25 trafiquants condamnés en 2013 avaient exploité 34 victimes, dont 10 étaient des enfants canadiens. Les peines qu’ils ont reçues allaient d’amendes à l’emprisonnement pour 10 ans; certaines de ces peines ont été suspendues et du temps a été crédité pour la durée de la détention préventive. En 2013, des jugements ont été rendus par des tribunaux dans deux affaires très connues de servitude domestique de victimes étrangères en Colombie-Britannique, qui ont toutes deux été instruites en vertu de la LIPR. L’une de ces affaires a abouti à un acquittement par le juge dans le cadre d’un procès sans jury, et l’autre, aboutissant à la décision d’un jury, a marqué la première condamnation pour servitude domestique au Canada. Certains membres du personnel d’ONG et du gouvernement considéraient que ces résultats montraient la compréhension limitée que plusieurs juges avaient de la traite des personnes.

Au cours de l’année, des représentants provinciaux et fédéraux ont tenu des séances de formation destinées aux fonctionnaires, et le ministère de la Justice Canada a distribué à toutes les autorités un nouveau manuel sur la lutte contre la traite des personnes destiné aux agents de police et aux procureurs. En 2013, la GRC a poursuivi ses vastes efforts de formation sur la lutte contre la traite des personnes des agents de la paix, des agents des services frontaliers et des procureurs, et a donné, à 24 agents de police, un cours approfondi d’enquêteur sur la traite des personnes. La GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada ont toutes deux maintenu des cours de formation en ligne sur la lutte contre la traite des personnes. Plusieurs provinces ont maintenu des unités de police spécialisées dans la lutte contre l’exploitation sexuelle commerciale, et, en décembre 2013, au Québec, la GRC a créé une unité nationale de lutte contre la traite de personnes. La GRC a employé trois coordonnateurs régionaux de sensibilisation à la traite des personnes à l’échelle du pays, pour renforcer les efforts de sensibilisation et de lutte contre la traite des personnes au niveau local. Le gouvernement du Canada a déclaré avoir collaboré avec des gouvernements étrangers à des enquêtes sur la traite des personnes. Un sergent de police qui menait, dans le cadre d’un projet pilote, une unité d’enquête de lutte contre la traite des personnes à Hamilton, Ontario, a fait l’objet d’une enquête pour inconduite sexuelle à l’égard de témoins dans des affaires de traite des personnes. Les autorités n’ont pas signalé de poursuites ou de condamnations de fonctionnaires pour complicité d’infractions de traite des personnes. La coordination entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à l’égard des efforts de lutte contre la traite des personnes a continué de poser un défi; les autorités gouvernementales ont introduit des appels trimestriels nationaux de coordination entre les fonctionnaires travaillant à la lutte contre la traite des personnes, afin d’améliorer la communication et la collaboration.

Protections

Au cours de la période de rapport, le gouvernement a maintenu les protections pour les victimes de la traite des personnes, quoique la plupart des services offerts aux victimes par le gouvernement étaient des services généraux offerts aux victimes de toutes sortes de crimes et aucun programme gouvernemental n’avait été conçu expressément pour les victimes de la traite des personnes. Les fonctionnaires n’ont pas recueilli de statistiques complètes sur le nombre total de victimes de la traite des personnes identifiées et aidées au cours de l’année. En date de février 2014, les responsables de l’application de la loi avaient signalé 198 victimes dans des enquêtes ouvertes où des accusations de traite des personnes avaient été portées, mais il n’était pas clair combien de ces victimes avaient été identifiées en 2013. La majorité des victimes étaient des femmes et des filles exploitées dans le trafic du sexe.

Des agents d’immigration ont continué de mettre en application des lignes directrices pour déterminer si les ressortissants étrangers étaient des victimes potentielles de la traite des personnes, et la police et les procureurs ont examiné les cas possibles de traite des personnes en fonction des indicateurs établis, mais l’application de ces lignes directrices n’était pas uniforme. Il n’y avait pas de procédures nationales pour les autres fonctionnaires, comme les travailleurs sociaux ou les inspecteurs du travail, pour identifier les victimes de la traite des personnes parmi les populations vulnérables et les aider de manière proactive. Les provinces et les territoires étaient les premiers responsables de l’application des normes du travail. Des organisations de la société civile ont signalé qu’il arrivait souvent que les gouvernements territoriaux et provinciaux n’aient pas les ressources ou le personnel nécessaires pour surveiller de manière efficace les conditions de travail du nombre croissant de travailleurs étrangers temporaires ou identifier de manière proactive les victimes de la traite des personnes parmi ces groupes.

Les gouvernements provinciaux et territoriaux étaient les premiers responsables des services généraux offerts aux victimes de crimes, lesquels étaient disponibles aux victimes de la traite des personnes. La gamme et la qualité de ces services variaient. La plupart des provinces et territoires offraient aux victimes de la traite des personnes l’accès à des services d’hébergement, de counseling à court terme, d’assistance judiciaire et autres. Le gouvernement n’a pas déclaré avoir financé ou géré d’installations destinées aux victimes de la traite des personnes, mais aiguillait les victimes vers les refuges gérés par les organisations de la société civile. Les femmes victimes de la traite des personnes pouvaient également obtenir des services aux refuges conçus pour les victimes de violence. Les refuges pour sans-abris pouvaient offrir des services de base aux hommes victimes de la traite des personnes. La demande de certains services, comme l’aide au logement à plus long terme, dépassait les ressources disponibles. Des fournisseurs de services ont souligné la nécessité de certains services personnalisés pour traiter la toxicomanie des victimes du trafic du sexe, comme des lits pour la stabilisation d’urgence. Des ONG et des responsables de l’application de la loi ont signalé que le manque de services spécialisés posait problème et qu’il arrivait parfois que les fonctionnaires ne parviennent pas à offrir aux victimes des services de protection opportuns et coordonnés. Certains membres de la famille de victimes du trafic sexuel des enfants ont signalé que les victimes n’avaient pas reçu des services adéquats ou une protection adéquate contre les trafiquants. Des ONG ont signalé que les mécanismes locaux d’aiguillage des victimes, comprenant souvent une coalition ou un réseau contre la traite des personnes, fonctionnaient bien dans la pratique.

Les victimes étrangères de la traite des personnes pouvaient demander un permis de séjour temporaire (PST) pour rester au pays. En 2013, le gouvernement a délivré 14 PST à 14 victimes étrangères de la traite des personnes, dont 10 étaient des premiers permis et quatre des renouvellements. À titre de comparaison, en 2012, les autorités avaient déclaré accorder 26 PST à 24 victimes étrangères. Il est possible que certaines victimes étrangères de la traite des personnes aient pu profiter d’autres formes de recours en matière d’immigration, comme l’asile. À la suite d’une période de réflexion de 180 jours, les agents d’immigration décidaient s’ils devaient accorder aux titulaires de PST une plus longue période de résidence de jusqu’à trois ans. Les titulaires de PST avaient accès aux soins médicaux essentiels et d’urgence, aux soins dentaires et à des services de counseling traumatologique. Les titulaires de PST pouvaient demander sans frais un permis de travail, et certaines victimes étrangères ont obtenu un tel permis au cours de la période de rapport. Certains fonctionnaires et ONG ont signalé qu’il pouvait parfois être difficile d’obtenir un PST pour les victimes étrangères, en raison de l’absence d’accord entre les fournisseurs de services, les agents de la paix et les agents d’immigration sur la question de savoir si elles étaient admissibles comme victimes de la traite des personnes. De plus, au cours de l’année, des fournisseurs de services ont signalé des retards dans la réception du PST par les victimes; pendant les plusieurs mois que l’attente a duré, elles ne pouvaient pas accéder aux services gouvernementaux et la société civile leur a offert les soins dont elles avaient besoin. En général, les victimes identifiées n’ont pas été punies pour des crimes commis en conséquence directe d’avoir été soumises à la traite des personnes. Certaines ONG ont indiqué qu’elles craignaient que la durée des enquêtes sur le trafic de main-d’œuvre pourrait exposer les victimes étrangères à des infractions liées à l’immigration, selon leur statut juridique comme travailleurs migrants au Canada. Des articles de presse ont indiqué que certaines victimes du trafic sexuel des enfants avaient été traitées comme délinquantes juvéniles, en raison d’infractions mineures commises alors qu’elles étaient exploitées dans la prostitution. Les autorités canadiennes ont encouragé, mais n’ont pas obligé, les victimes de la traite des personnes à participer aux enquêtes et aux poursuites contre les trafiquants; cependant, elles n’ont pas indiqué le nombre de victimes qui l’avaient fait, le cas échéant.

Prévention

Au cours de la période de rapport, le gouvernement du Canada a maintenu de solides efforts de prévention de la traite des personnes. En décembre 2013, les autorités ont publié le premier rapport d’étape sur la mise en œuvre du plan d’action national contre la traite des personnes, lancé en 2012. Sécurité publique Canada a mené un groupe de travail inter-organismes fédéral qui a tenu une réunion tous les mois. En 2013, la GRC a continué de tenir des activités de sensibilisation, formant environ 3700 fonctionnaires et membres de la société civile. La Colombie-Britannique avait le seul bureau provincial de lutte contre la traite des personnes au pays; ce bureau a réalisé des activités de prévention, de formation et de sensibilisation à l’aide de fonds fédéraux. En 2013, ce bureau a publié un plan d’action provincial contre la traite des personnes et a établi des partenariats avec des communautés autochtones, y compris dans des régions éloignées, afin de former des intervenants à identifier les femmes et les filles autochtones victimes de la traite des personnes et à les aider. Les gouvernements provinciaux du Québec et de l’Alberta ont poursuivi leurs partenariats avec des ONG et ont reçu des fonds fédéraux pour assurer la coordination des efforts provinciaux contre la traite des personnes. Afin de réduire l’ampleur du travail forcé, les autorités canadiennes ont continué d’appliquer des mécanismes de responsabilité pour les employeurs de travailleurs étrangers, y compris l’inspection des lieux de travail. Ces mécanismes pouvaient entraîner la considération des employeurs non conformes comme inadmissibles à l’embauche de travailleurs étrangers pour deux ans. Les agents d’immigration fournissaient des renseignements aux travailleurs étrangers temporaires, y compris les proches aidants, afin qu’ils sachent à qui s’adresser en cas d’exploitation ou d’abus, et qu’ils connaissent leurs droits. Certaines ONG ont déclaré que ces efforts ne permettaient pas de traiter les problèmes fondamentaux rendant les travailleurs étrangers temporaires vulnérables au travail forcé, et ont demandé l’accroissement de la surveillance nationale des pourvoyeurs de main-d’œuvre et des recruteurs.

Le Canada est un pays source de touristes sexuels à la recherche d’enfants. Le Code criminel interdit aux ressortissants canadiens de pratiquer le tourisme sexuel impliquant des enfants à l’étranger et prévoit des peines allant jusqu’à l’emprisonnement pour 14 ans. Au cours de l’année, il n’y a pas eu de rapports publics d’enquêtes, de poursuites ou de condamnations visant des touristes sexuels à la recherche d’enfants. Avec chaque nouveau passeport canadien délivré, les autorités ont continué de distribuer une publication avertissant les Canadiens des peines prévues par les lois du Canada concernant le tourisme sexuel impliquant des enfants. Les autorités canadiennes ont fourni des renseignements sur la lutte contre la traite des personnes aux forces armées canadiennes avant leur déploiement dans le cadre de missions de maintien de la paix internationales. Les autorités canadiennes ont continué de poursuivre les personnes qui sollicitaient pour des activités sexuelles à des fins commerciales.